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Dead or Alive

Takashi Miike, 1999

avec Aikawa Sho, Riki Takeuchi, Hitoshi Ozawa, Mizuho Koga, Susumu Terajima.

Fred / Zeni

Fred : Point d'orgue du neuvième étrange festival, Dead Or Alive (DOA) était certainement le film le plus attendu de la quinzaine. En effet depuis quelques mois déjà, le buzz enflait autour des deux derniers opus de Takashi Miike, surtout lors du festival de Rotterdam et au marché du film de Cannes.

Si j'émets quelques réserves sur Audition, DOA a par contre comblé tous mes espoirs. Il s'agit certainement de l'un des films les plus stupéfiants que j'ai pu voir depuis longtemps sur grand écran.

Le film démarre en trombe, par pas moins de 10 minutes non-stop d'action expérimentale, à la limite de l'abstraction. On y voit pêle-mêle une strip-teaseuse en cuir se dézipper lascivement devant un gros yakusa ingurgitant des kilos de pâtes, un barjo avec un gros casque sur les oreilles pogotant avec la caméra, un type en sodomisant un autre dans des chiottes publiques avec éjac sanguinolante à la clef, un yakuza se faisant un rail de coke de plusieurs mètres, un gunfight hystérique dans la boite du gros yakusa sus - cité etc. le tout en montage alterné, sur fond de gros punk basique ou le "chanteur" hurle "ACTION" une bonne centaine de fois.

 

La suite est plus calme niveau rythme, mais pas vraiment niveau idées barges. Entre une scène zoophile "hilarante" et une autre de scatologie "poétique" (très importantes ici les guillemets), le film se paie le luxe de raconter une histoire pas forcement très originale, mais en tous cas intéressante d' affrontement entre un flic déterminé (Sho Aikawa, le tueur de Rainy Dog) et un gangster hargneux (Riki Takeuchi). Le film s'attarde sur les problèmes familiaux des deux camps, et avance suivant l'élimination progressive de l'entourage des deux personnages principaux pour aboutir à un final apocalyptique qui restera dans les annales. Ce final hallucinant (j'insiste) achèverai le plus endurci des cinéphages de par sa folie et son non respect d'une quelconque logique au niveau du scénario. La seule explication plausible serait d'ordre métaphorique, mais j'arrête là mon imbroglio syntaxique qui masque mal mon envie de vous révéler le pot aux roses. Sachez juste qu'il sera difficile d'aller plus loin dans le genre (j'en est déjà trop dit).

Tout ça pour dire, que le grand talent de Miike est d'arriver à faire fusionner des genres parfois contradictoires (manga, polar, social, perversions, humour etc.) et à harmoniser des idées tordues autour d'une histoire somme toute assez classique. Vivement la suite, paraît-il déjà en tournage.

Zeni : Quatrième film de Takashi Miike que je vois et je suis de plus en plus convaincu que cet homme est un des plus grands réalisateurs vivants. Car s'il est sans doute en partie vrai de déclarer que Takashi Miike est fou, cela est aussi la solution de facilité qui prend parfois un ton vaguement sarcastique et surtout réduit son oeuvre à un grand délire de cinéaste incontrôlable. Ce qu'elle n'est pas, indubitablement. Takashi Miike est un cinéphile et un créateur dont les oeuvres revêtent ce double aspect : inspiration auprès d'autre cinéastes et détournement des oeuvres.

Dead or Alive n'est pas à mon sens son film le plus réussi (dans le genre ironique, Audition est une véritable réussite et dans l'excés j'ai plus apprécié Fudoh) mais il reste un film d'une intelligence rare et emprunt de références que Miike a sues digérer avant de nous les renvoyer avec un mélange de fidélité aux modèles et de perversion incroyable.

 

Takashi Miike est né à Osaka en 1960. Après avoir fini ses études il a travaillé comme assistant réalisateur auprès des cinéastes Shohei Imamura, Kazuo Kuroki et Hideo Onchi.

Son premier film pour le cinéma, Shinjuku Kuroshakai, date de 1995. Il est l'un des cinéastes japonais les plus imprévisibles avec des films comme Audition, Bird People of China, Dead or Alive, Fudoh ou encore Rainy Dogs (film faisant partie d'une trilogie sur le thème yakuzas et triades).

Il réalise aussi trois à quatre films par année et sort un certain nombre de ses films directement en vidéo.

Pour ses innovations visuelles et son rythme sec et tranchant il a déjà été proclamé l'une des grandes découvertes du cinéma japonais.

[fantasiafest.com]

La scène d'ouverture vous plonge dans l'univers de Miike (celui de Fudoh car chez Miike, il n'est pas un univers mais une multitude d'univers) sous la forme d'un clip hallucinant qui prend des allures de publicité (si on peut donner à ce mot un sens positif). Comme pour nous prévenir de quoi il en retourne et dans quoi on va mettre les pieds. Un panneau indicateur en quelque sorte. Vaine cette séquence ? Certainement pas. Takashi Miike, par le paroxysme caricatural de cette scène (à la fois gore, sexe, hallucinante, excessive, explosive, violente, ...), évacue en trois minutes ce que certains (lui y compris dans Fudoh par exemple) distille sur tout un film et s'en font une marque de fabrique. Car avant de détruire copieusement l'oeuvre des autres, Miike sait se remettre en cause et se parodier lui-même. Cette séquence d'ouverture est donc un pied de nez à tous les critiques qui essaient désespéremment de mettre Takashi Miike dans une petite boîte et d'y apposer une étiquette. Pas étonnant qu'ensuite ces derniers n'expriment que du dédain envers ce cinéaste.

Si vous acceptez de continuer (il le faut si vous voulez un peu comprendre Miike), vous serez tout d'abord surpris par le brusque changement de rythme et la facture plus classique du film. Tant d'un point de vue formel que du scénario, Miike mène son film rondement mais, soyons franc, sans grande originalité. Et le plus surprenant est que ce manque d'originalité est ici un compliment car Miike ne copie pas, il détruit avec subtilité, de l'intérieur. C'est le ver dans la pomme.

Miike prend d'emblée pour modèle principal le japonais Kitano notamment d'un point de vue du scénario et de la trame générale. Bien qu'il évite le recours systèmatique à l'ellipse, il reste que les personnages sont très kitanesques (bourrus, peu causants, violents) et on trouve de nombreuses autres similarités. Ainsi le gang sur une sorte de plage avec un humour qui n'est pas sans rappeler les yakusas de Sonatine (notamment cette scène d'un personnage saignant du nez) . Ou encore la vie de famille du policier (absence de communication, "maladie" de la fille) qui rappelle curieusement Violent Cop ou Hana Bi. Mais Miike est un (gros) malin. Un malin subtil et intelligent dont le leitmotiv semble être de pourrir son sujet de l'intérieur. Là où Kitano utilise un humour noir à froid et décalé et une technique bien à lui (plans fixes, personnages immobiles en plan américain, violence subite, ellipses), Miike le fait en insérant des scènes de zoophilie, scatologie, sodomie, j'en passe et des meilleures. Pour reprendre cette scène emblématique sur la plage, c'est la nudité et la vulgarité que Miike utilise. Un procédé de déconstruction en douceur que Miike maîtrise à la perfection et qu'il utilise à son apogée dans Audition, au point d'ailleurs qu'on se demande à quel moment il va finir par détruire son sujet.

Au milieu du film, Miike abandonne un moment Kitano et s'attaque à une autre référence du cinéma asiatique. Certainement un peu gêné par les références systèmatiques aux "maîtres", c'est à John Woo qu'il s'en prend. Le gunfight (symbole du style Woo) central fait nettement référence au meilleur du cinéma de Woo et il faudrait être grandement hypocrite pour ne pas avouer que Miike possède un réel talent qui n'a rien à envier à son modèle. Mais même pour ces scènes très codées, Miike parvient à insuffler une pointe d'ironie et de détachement. Comment expliquer sinon cet homme déguisé en poulet se faisant cribler de balles et dont les plumes volent à travers la pièce ? Comment ne pas penser à The Killer quand on voit l'éclairage de la scène toute entière dans les tons orangés et bruns ? Mais même dans les aspects les plus wooiens, Miike laisse sa marque. La violence est par exemple nettement plus crue, viscérale et proche par le contact physique (coups de couteau, main transformée en beignet, égorgement) que les hommes qui tombent comme des mouches de Woo apportant un caractère distancier aux scènes d'actions. Miike aime pénetrer au coeur de la violence.

Suite à ce gunfight flamboyant, Miike se permet un trait d'union pour revenir à Kitano en parodiant à la fois ce dernier et Woo. Le collègue du policier (Susume Terajima ! Acteur fétiche de Kitano dont je ne peux pas croire qu'il soit là par hasard) dont on a pris soin de nous montrer la femme et le gosse de cinq ans, intervient sur le lieu de l'affrontement pour s'y faire cribler de balles dans une scène mélodramatique à souhait avant que ce soit au tour du yakusa de voir son frère mourir. Le tout filmé au ralenti.... Si vous n'aimez pas voir vos idoles maltraitées, fuyez Miike, il n'a que faire des conventions et des règles. Mais il sait les utiliser (il n'y a qu'à voir l'hommage à HHH et au cinéma taïwanais qu'est Rainy Dogs).

Mais au delà de ces deux références majeures et les plus perceptibles, Miike sait imposer son style personnel qui est justement une absence totale de style. Et ce détachement par rapport à tout carcan lui permet de faire passer une fin proprement hallucinante et définitive. Ne jamais se laisser enfermer dans un genre est visiblement le crédo de DOA et de Miike. D'où un résultat qui emprunte au meilleur de tous les genres : le policier, le gore, l'action, le contemplatif taïwanais, le manga live ....(la liste est longue). On retrouve cependant son thème favori : la Chine et Taïwan. Miike semble littéralement fasciné par cette culture et outre Rainy Dogs, il y fait presque systématiquement référence (les triades, l'immigration...).

La fin de DOA a fait beaucoup à la réputation du film mais a également occulté la majeure partie du film. La fin déstabilise encore une fois par cette bizarre impression de se retouver dans un autre film. Mais ce sentiment d'être en équilibre instable est présent tout au long du film dont on sent qu'il peut déraper à tout instant. On est donc surpris non pas tant par l'excés en soi mais par le fait que Miike ose. Là où tout réalisateur aurait déposé les armes par peur d'effrayer le public, Miike lui fait confiance et ose. Qu'il en soit remercié.

Miike réalise donc avec DOA un travail inverse à un orfèvre ou à un horloger en détruisant un film comme en insérant des grains de sables dans des mécaniques bien huilées, Woo et Kitano en tête. Si je me refuse à y voir une haine de Miike pour ces cinéaste, c'est que pour moi Miike s'attaque non pas à des personnes mais à des (un) système(s). En cela il réalise cinématographiquement l'anarchie : destruction des systèmes (quels qu'ils soient), utilisation des ressources présentes (l'anarchie n'est pas la destruction). C'est du grand art qui ne déplaiera qu'aux réactionnaires qui ne pense qu'en "genres" et "styles" et à qui le changement et la différence font peur. Miike est bien au-dessus de tout cela et même si ce n'est pas toujours parfait, c'est un des rares cinéastes contemporains (avec Sogo Ishii par exemple) qui sait qu'il n'y a pas de cinéma dans l'immobilisme et le conservatisme. Miike s'inscrit donc en droite ligne et en digne héritier de ce cinéma japonais qui nous a offert les plus grands réalisateurs et une force subversive jamais atteinte dans d'autres cinémas.

Merci M. Miike, je suis définitivement convaincu que le salut du cinéma est au Japon, pas ailleurs.

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