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Focus

FOCUS

Satoshi Isaka, 1997

avec Asano Tadanobu, Akira Hirai, Keiko Unno.

Les amateurs de Asano Tadanobu seront certainement un peu surpris par sa prestation dans Focus. Aux antipodes de son récent rôle dans Shark Skin Man & Peach Hip Girl, il prouve, si besoin en était, qu'Asano est un des plus formidables acteurs japonais de sa génération.

Une équipe de télévision réalise un reportage sur le curieux hobby de Kanemura (Asano Tadanobu), jeune homme passant le plus clair de son temps à écouter les communications téléphoniques (entre mobiles, fréquences de la police, ...). Peu à peu, l'équipe désire en savoir plus et Kanemura finit par se laisser entraîner en dévoilant de plus en plus de choses sur sa passion et sur lui même.

Critique extrêmement virulente des médias, Focus, par son approche crue et parfois d'une grande violence, surprend plus d'une fois. Prenant la forme d'un documentaire, le film étant entièrement tourné du point de vue du cameraman de l'équipe, il évite cependant le sensationnalisme, donnant par là même un poids plus grand à la réflexion. La durée courte du film (73 minutes) renforce cet aspect documentaire.

Tokyo, en plein jour, dans une rue. L'équipe opère les derniers réglages et prépare l'entretien avec Kanemura dans un parc. Lenteur du processus, sujet finalement peu intéressant. On commence à voir poindre l'ennui, les personnages du film tout comme nous. Et puis, les personnages se retrouvent tous dans une voiture, il n'en sortiront quasiment plus. La nuit tombe et c'est comme s'ils se retrouvaient pris à un piège qu'ils ont eux-même créé. La ballade va se transformer en enfer.

Kanemura désire faire partager sa passion sans pour autant la mettre en danger. L'équipe de télévision réalise son travail en essayant par tous les moyens (notamment le mensonge) d'en savoir plus. De l'antagonisme initial (Kanemura désire rester discret tandis que la télévision vise à montrer, porter à la lumière), va naître un conflit lorsque la télévision décide de "prouver" la vérité/réalité du reportage en suivant les indices interceptés dans une conversation téléphonique.

Kanemura est timide par nature et, face à la caméra, on le sent mal à l'aise et en position de faiblesse alors que d'habitude, sa position d'espion, le plaçait dans une situation opposée. Ce n'est plus lui qui essaie d'apprendre des choses sur la vie privée des gens mais lui qui est espionné. Il y a cependant une différence. Si les gens ne se méfient pas, c'est qu'il ne peuvent aucunement se douter qu'une personne les écoute. Kanemura, lui, est persuadé de maîtriser la situation, puisqu'il est en face des personnes qui désirent en savoir plus sur lui. Il accepte sans trop rechigner toutes les propositions de l'équipe. Amadoué par les propos rodés de l'interviewer, il pense qu'aucun détail pouvant permettre de l'identifier ne sera dévoilé. Il se convainc lui-même de ne pas être impliqué dans les actes de l'équipe de télévision mais s'apercevra trop tard qu'il s'est fait embobiner. Par son caractère voyant, voyeur, la télévision piège Kanemura le voyeur et le bat sur son propre terrain. Car la principale difficulté pour le voyeur est de rester discret, anonyme. La télévision, au contraire, tente de tout connaître, tout en portant son attention sur ce qui est, paradoxalement, secret et privé. C'est donc bien la télévision qui pervertit. Elle place le spectateur dans la situation d'un pervers (Kanemura) mais en rendant la perversion publique, elle désamorce tout sentiment de culpabilité. Et finalement, elle apparaît comme bien plus dangereuse que le véritable pervers qu'est Kanemura mais dont l'activité répréhensible, cependant contingentée à la sphère strictement privée, reste relativement inoffensive.

Kanemura, finalement piégé, tentera de se venger en utilisant les techniques de l'équipe de télévision contre elle-même tout en essayant d'assouvir ses propres pulsions. Esprit malade, Kanemura trouve dans les images (il n'utilisait jusqu'alors que le son) un moyen plus puissant de concrétiser ses fantasmes. Pour Kanemura, la situation d'espionner des conversations privées est une situation quotidienne, elle représente sa vie de tous les jours. La télévision, et ici l'équipe, vit ce reportage comme un moyen de vivre des sensations nouvelles. Sa prétention, son sentiment de supériorité, la place dans une position où elle croit avoir "compris". Tentant par tout les moyens de vulgariser, elle interprète tout comme un jeu. Ce caractère ludique l'aveugle complètement et la pousse à la surenchère. Se créant son propre monde virtuel, la télévision en oublie la réalité. Elle s'en trouve donc que plus surprise quand une arme blesse quelqu'un ou qu'elle est utilisée pour déshabiller (cette fois, littéralement) une personne. Mais Kanemura n'est pas bien différent. Il fantasme sur une étudiante qu'il espionne et soudain, il se trouve confronté à la réalité que lui présente la télévision. On oscille sans cesse entre le monde spectaculaire (au sens situationniste du terme) et le monde réel. Les frontières se font floues et les actes, horribles, deviennent presque acceptables par la présence d'une caméra qui met en scène. Regard impitoyable de l'oeil électronique pourtant incapable de différencier le vrai du faux, le jeu (la comédie) des sentiments véritables. Comme cette scène où Iwai (le chef de l'équipe) fait jouer à Kanemura la surprise devant la découverte d'une arme. On cette autre, bien plus dérangeante, ou Kanemura met en scène un viol.

L'incroyable jeu des acteurs (voire tout simplement stupéfiant) est certainement une des raisons de la qualité de ce film, de plus porté par un scénario d'une rare intelligence. Focus est sans aucun doute un des tous meilleurs films portant sur le sujet de la télévision. Poussant la critique le plus loin possible, le film apparaît comme extrêmement dérangeant et comme l'un des seuls à poser les véritables questions tout en s'attachant à y répondre. Vous ne regarderez plus jamais "Tous égaux" avec le même oeil !

 

© Avril 2001