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Picnic

PICNIC

Shunji Iwai, 1996

avec Tadanobu Asano, Chara.

Je continue mon exploration de la filmographie de Shunji Iwai, un des plus grands réalisateurs japonais contemporains (et on ne proteste pas svp, c'est un fait). Une fois encore, c'est avec concision (73 minutes) et une talentueuse subtilité que Shunji Iwai aborde la folie (voir la chronique de Undo).

Koko (Chara) fortement attirée par les corbeaux, vient d'être internée dans un hôpital psychiatrique. Elle y rencontre Satoru, amoureux de cette dernière, et son ami Tsumuji (Tadanobu Asano) victime d'hallucinations. Ensemble, ils vont faire une escapade, un pique-nique, dans le monde "extérieur".

Evidemment c'est d'abord le thème de la folie qu'aborde Shunji Iwai. Sa vision de l'hôpital psychiatrique est certainement très caricaturale mais représente aussi la vision que peuvent en avoir les patients. C'est donc un véritable enfer pour ces derniers : méchanceté d'une infirmière envers Koko, promiscuité, viol de Tsujumi par une infirmière, traitements chocs. Aspect infernal renforcé par le peu de lumière, des intérieurs délabrés et une ambiance qui donne l'impression de se trouver cent ans en arrière. Les hallucinations dont est victime Tsujumi sont tout aussi extrêmes. Ainsi voit-il régulièrement apparaître le professeur qu'il a assassiné sous une forme effrayante et dont la caractéristique principale est d'uriner avec un organe mutant. Visions hallucinatoires proches de celles de l'adaptation cinématographique de Le Festin Nu de W.S. Burrough par Cronenberg.

Par contraste, l'arrivée de Koko dans ce monde infernal principalement masculin (les patients) prend l'allure de l'arrivée d'un ange salvateur. A la différence près que cet ange est noir et que les plumes dont sa veste est couverte proviennent d'un corbeau. Mais la fonction de Koko semble être celle d'un ange venu pour sauver Tsujumi mais également se sauver elle-même. Satoru et Tsujumi ont l'habitude de s'évader du monde clos de l'hôpital psychiatrique en grimpant sur le mur d'enceinte. Mais sous l'impulsion de Koko, Tsujumi ose aller plus loin et les voilà tous deux, Satoru n'osant pas, parcourant le monde extérieur perchés sur les murs. Ils en viennent à rencontrer un prêtre qui voit en eux un message divin, voire des anges : un noir et un blanc. Il offre une bible à Tsujumi qui ne cesse alors de la feuilleter. Koko s'en tient à son interprétation toute personnelle : ses parents sont Dieu car ils l'ont créée et la fin du monde viendra avec sa mort comme le monde fut créé à sa naissance. Cette interprétation n'est pas sans renforcer le symbôle divin que représente Koko.

Repris, ils sont isolés mais ce n'est que pour repartir juste après, toujours perchés sur les murs. Cette fois Satoru les accompagne. Cette deuxième échappée prend l'allure d'un voyage initiatique sans but précis. Tsujumi lit la bible et Koko les guide on ne sait trop où. Satoru qui ne comprend pas ce qu'il fait là et qui n'a probablement pas sa place dans ce monde ni dans l'autre, finira par chuter d'un mur. Comme ce policier qui tentera de les faire descendre mais sera incapable de tenir en équilibre là où Koko et Tsujumi se meuvent avec aisance. Reste donc les deux anges et leur délire mystique qui annonce la fin tragique.

En comparant la religion à une folie, Shunji Iwai s'aventure sur un terrain glissant. Mais plutôt que de se lancer dans une critique de la religion, catholique notamment, il en utilise les symboles les plus marquants (la bible, la fin du monde, les anges) pour parler de l'inadaptation de certaines personnes à la société dans laquelle elles vivent. Tsujumi et Koko sont des êtres à part qui ont commis des actes horribles dont le souvenir torture l'un (le pêcheur Tsujumi) et renforce le second dans sa mission salvatrice en lui donnant la compréhension, la compassion.

Film complexe et onirique parfois avec la scène de la mort de Saturo ou la scène finale, Picnic est un véritable morceau de pur cinéma magistralement interprété par Chara (il faut l'entendre chanter un hymne en anglais de sa voix éraillée) et Tadanobu Asano.