Navigation Cho-Yaba

 

Cinema
Chroniques

Warning: Cannot modify header information - headers already sent by (output started at /mnt/116/sdb/a/4/zeni/acz/cinema.php3:4) in /mnt/116/sdb/a/4/zeni/acz/chroniques/films/yiyi.php3 on line 10
Yi Yi

YI YI

Edward Yang, 2000

avec Jonathan Chang, Wu Nien-Jen, Kelly Lee, Yu Pang Chang, Elaine Jin, Issey Ogata, Chen Hsi-Sheng, Ko Su-Yun.

Zeni / Brian Addav

Zeni : Après le choc ressenti lors de la vision de A Brighter Summer Day, c'est avec une grande impatience que j'attendais ce fameux Yi Yi qui marque la reconnaissance d'un réalisateur taïwanais souvent oublié, Edward Yang. Autant le dire tout de suite, le résultat est largement à la hauteur de mes espérances. Vous l'avez certainement remarqué, je note les films de 1 à 5. Or un seul film s'est vu attribué jusqu'ici la note de 5, c'est A Brighter Summer Day du même Edward Yang. Autant dire que j'avais un peu peur que l'on me prenne pour un fanatique de E. Yang manquant de discernement. J'assume cependant ces deux choix d'attribuer la note maximale à ces deux films du même réalisateur.

Edward Yang déclare qu'il veut que le spectateur ressorte de la salle en ayant l'impression d'avoir rencontré un ami et non un metteur en scène. Ironie du sort c'est justement le prix de la mise en scène qu'à obtenu Edward Yang ! Mais c'est bien un ami que j'ai rencontré ce soir là, un ami qui a su me raconter une histoire magnifique pendant trois heures. Ce genre de film dont on ressort avec l'impression, comme le dit un personnage du film d'avoir "vécu trois fois grâce au cinéma".

D'histoire en fait, il n'y en a pas vraiment. Yi Yi (Yi signifie "un" ou "individualité" en taïwanais) est avant tout une chronique familiale. Elle démarre sur un mariage, occasion pour tous de se retrouver parfois après des décennies de séparation et se conclut sur un enterrement. Si on ajoute que la mariée est sur le point d'accoucher, on comprend que le film réalise un cycle de vie tout en concentrant toutes les générations.

On a Yang-Yang (Jonathan Chang, épatant), jeune garçon un rien philosophe dont l'occupation consiste à faire découvrir aux gens des choses qu'ils ne peuvent pas voir. Ainsi il photographie leur nuque. On a Ting-Ting (Kelly Lee), la soeur de Yang-Yang et lycéenne dont la gentillesse et la bonté sont la cause de ses soucis (sa plante verte ne fleurit pas à cause des soins trop intensifs prodigués). Le père, N.J. (Wu Nien-Jen) personnage renfermé rongé par les remords amoureux (qui rappelle Edward Yang par son parcours professionnel) et enfin la grand-mère dans le coma. Mais ce ne sont là que quelques uns des personnages qui émaillent le film. Car Yi Yi est rempli d'individualités (les voisins, les parents...), qui ne forment finalement qu'une personne qui marierait en son sein toutes les générations. Le tout fusionnant même avec la ville de Taipei.

Par le biais d'une sorte de continuum subtil entre les scènes, Edward Yang établit un lien permanent entre les actions des personnages. Par exemple, Yang-Yang réalise une action qui pourrait être attribuée à son père à son âge. Ou encore Ting-Ting à l'hôtel renvoie à son père évoquant un souvenir similaire. Il en va ainsi tout au long du film, créant cette unité des personnages. Unité renforcée par le jeu sur le son, souvent décalé par rapport à l'image. Un dialogue continue alors que la scène a changée ou l'inverse. Ce phénomène proche du hors-champs, E. Yang aime à l'utiliser. Comme dans A Brighter Summer Day, il joue fréquemment sur les reflets. Que ce soit dans une vitre, un miroir ou un panneau de bois verni, ce soucis du détail et du jeu avec l'environnement est d'une subtilité incroyable et parfois d'une beauté troublante (la femme de NJ se réflêtant dans une vitre en même temps que les lumières de la ville, sublime). Jamais vain, cet artifice crée une sorte de fusion entre la ville de Taipei (admirablement filmée, loin de tous clichés) et les personnages.

Le centre de cet ensemble fusionné est Yang-Yang dont l'âme enfantine se propage chez les adultes qui ne sont finalement que de grands enfants. Yang-Yang donne l'occasion à Edward Yang de nous offrir les plus beaux passages du film comme cette scène de premier émoi amoureux sur fond de documentaire météorologique !

Évidemment la comparaison avec A Brighter Summer Day est difficile à éviter. Mais si certains trouveront que Edward Yang a atteint avec Yi Yi une maturité plus grande, j'avais préféré A Brighter Summer Day et sa formidable histoire d'amour tragique, plus intense et plus concentrée sur les personnages principaux. Autre détail, je trouve que le voyage à Tokyo dans Yi Yi est un peu artificiel et qu'il semble avoir été imposé par les producteurs japonais. Mais tout cela n'est que pacotille face à la formidable sincérité et simplicité du film.

Finalement, c'est peut-être la première fois que je dirais d'un film qu'il lui manque une heure. J'aurais aimé pénétrer plus longuement les nombreuses individualités de Yi Yi, m'en repaître sans fin comme on apprécie une histoire simple mais formidablement racontée avec ce sens de la proximité propre à Edward Yang. Yi Yi offre un de ces rares moments que seul le cinéma arrive parfois à nous donner. Merci Monsieur Yang !.

Brian Addav : Dur de faire une critique d'un film quand celui-ci a fait l'unanimité. Et surtout quand tout semble avoir été dit sur ce film. Alors quoi ? Quoi de plus ?

Yi-Yi la vie, simplement, facilement. Apparemment donc, que du très simple. Une accumulation de détails, de scènes de vie. Toutes concernent, de près ou de loin, Nj. La quarantaine, marié, deux enfants, une fille au lycée, Ting-Ting et un gamin de huit ans, Yang-Yang. Toutes concernent une étape de sa vie d'homme, ou plutôt une parenthèse. Cette dernière débute avec le mariage de son beau-frère, un bon jovial, toujours à la limite de la magouille, marié pour éviter le déshonneur d'une paternité hors mariage. Conséquence, directe ou indirecte du mariage, la belle-mère de Nj tombe dans le coma. Sa vie à lui tombe en déséquilibre et le plonge en plein doute. Sa femme se remet en question, se réfugie dans un monastère. Sa fille découvre l'amour. Son fils s'interroge avec acuité sur la vie et ses faux-semblants. Nj retrouve son premier amour. Sa société est au bord de la faillite. Il fait la connaissance d'un informaticien japonais qui apportera un peu de lumière sur ses interrogations.

Le film commence par un mariage, une naissance, et finira par un enterrement. Voilà pour les grands fils narratifs du film. Mais ce ne sont pas eux qui comptent. Ou plutôt, pas seulement eux. Ce qui est magnifique dans son film, ce sont les gens qui le traversent, tous les personnages qui gravitent autour de Nj. Chacun existe par lui-même, affronte ses propres travers, et surtout participe à la vie de Nj, la définisse. Se présente à nous un ensemble de tous petits riens, de détails, magnifiques, communs, et qui bout à bout, forment une vie. La vie d'un homme, celle de Nj. Là est la force du film.

C'est vrai qu'il faut avoir quelque peu vécu en ce bas monde pour apprécier la grandeur du film. Chaque personnage nous ressemble un peu, nous rappelle quelqu'un. La vie est sûrement quelque part un éternel recommencement, que ce soit au sein de la famille de Nj, pour lui-même, pour ce que vit sa fille, son fils, mais aussi pour nous même. Mais il y a autre chose, palpable dans ce film. Montrée à nu, telle une évidence. La vraie vérité, c'est que l'on existe que grâce aux autres, que face aux autres. Nous n'existons qu'au milieu des autres. Nous voyons ce que nous pouvons voir, nous ne pouvons pas voir ce que eux voient, comme nous voyons devant nous, mais ne voyons pas notre nuque, vérité énoncée par le petit Yang-Yang, notre guide au travers de ce film. Heureusement, la présence, l'amitié, l'amour de nos proches, nous permet d'approcher la totalité de ce qui nous englobe. Des petits riens qui rassemblés forment un grand tout : LA VIE. Il est rare d'être à ce point concerné par ce que vivent les personnages d'un film. Et pourtant. Ce film touche à l'essentiel.

On tient un chef d'œuvre, de ceux qui sont universels, intemporels. Que dire de plus sinon merci.