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Anthologie : Eloge de la poésie et des livres (1996)


Recueil de poèmes chinois allant du 3ème au 18ème siècle, ce livre nous propose différents textes, non pas classés par siècle ou par auteur, mais présentés au hasard. Comme le titre le laissait entendre, il s'agit de poèmes ayant tous comme point commun un éloge de la littérature, de l'inspiration créatrice, du plaisir proustien avant l'heure de la lecture. La poésie y est décrite comme une expérience: dans le silence de la contemplation du monde, le poète adhère à celui-ci par la disponibilité totale de ses sens. La poésie, dans ce recueil, est illumination du sens. Traduite dans les mots, elle donne le poème, que l'auteur découvre dans la difficulté même de dire:
Le jour se lève, dans les arbres de la cour des oiseaux jasent
Porté par le rouge et le vert, le printemps arrive dans la forêt lointaine
Un splendide poème naît soudain devant mon regard
Le temps d'arranger quelques vers, déjà il s'est esquivé (Chan Yu Yi, 12ème siècle).
Le sens est tacite, le poème ne saurait l'exprimer de façon directe. Il le suscite en tournant autour, comme on fait le tour d'un lac de montagne, qui, sous le reflet des cimes, cèle une incroyable profondeur. Le poème suggère un sens en décrivant des circonstances, un environnement créateur d'émotions :
Autour de l'auberge de campagne, dix mille pêchers sous le poids de leurs fleurs
La splendeur printanière abonde à l'ouest du pont laqué
L'ermite aussi prend plaisir à aller voir les fleurs
A dos de cheval, achevant un poème de mon chemin je m'égare (Tang Yin, 15ème siècle). L'harmonie entre les différents éléments naturels est totale:fusion de l'homme avec son environnement mais aussi création d'un univers où le livre, miroir de la Nature, invite cette dernière à s'y contempler:
Sur la mousse verte qui recouvre le sol, le début de l'éclaircie
Sous les arbres verdoyants, de la sieste je me réveille, personne
Seul le vent du sud, ancienne connaissance,
Ouvre furtivement la porte et feuileete un livre (Liu Pan, 11ème siècle). On comprend finalement que l'inspiration ne saurait être forcée car c'est bien dans l'intérieur du non-agir, forme la plus accomplie de l'action, que le poème se présente spontanément:
Je ne recherche pas le poème, c'est le poème qui me recherche
De toutes parts émane le sentiment poétique
Je laisse aller mon pinceau, tout seul il compose un poème (Ye Tsai, 13ème siècle).
La phrase de conclusion revient à Tu Fu (18ème siècle), dans un poème adressé à Li Po, qui évoque bien la réelle magie de ce recueil:
Ton poème achevé, dieux et diables pleurent.

Ségolène, octobre 2001

Anthologie, Eloge de la poésie et des livres. Ed.Moundarren,1996..