Soseki : A l'équinoxe et au-delà (1914)
Soseki, né en 1867 et mort en
1916, fut professeur de littérature anglaise à l'université
de Tokyo. Puis, grâce au succès de son premier roman Je suis un
chat, il se consacra entièrement à l'écriture.
Ce livre retrace en six chapitres l'itinéraire de Keitaro, jeune diplômé
de l'université, qui aspire après des années de retraite
dans les livres, à toucher le monde réel. Son parcours ne sera
rien d'autre qu'une déambulation erratique parmi diverses personnes qui
entreprennent à chaque fois de lui raconter leur histoire. Son premier
emploi est des plus insolites: il se voit confier une mission par l'oncle de
son ami Sanaga, personnage énigmatique qui se nomme Taguchi. Il doit
rédiger un rapport pour ce dernier sur un homme attendu au tramway le
lendemain soir..Mais Keitaro ne pose et ne se pose jamais de questions. Ses
actes sont mécaniques, ses états d'âme inexistants. Personnage
totalement opaque, il assure la narration avec un regard complètement
distancié, écoutant plutôt que discutant avec ses interlocuteurs,
ce qui empêche tout commentaire éventuel sur ce qui se dit. En
bref, une quantité de récits défilent sans que l'on comprenne
bien toujours leur finalité. Après d'autres rencontres, nous retrouvons
le personnage de Taguchi dans le quatrième chapitre : son histoire nous
est contée afin de comprendre pourquoi il refuse de recevoir ses visiteurs
les jours de pluie. L'anecdote tourne au tragique puisque nous écoutons
le récit de la mort subite et inexpliquée de la petite fille de
Taguchi, âgée de cinq ans. Il est possible d'entendre derrière
cette histoire le rappel de la perte de la cinquième enfant de Soseki,
morte elle aussi à l'âge de cinq ans et de façon soudaine.
Il est vrai que l'auteur avait déclaré que le titre du livre n'avait
pas de signification particulière et qu'il l'avait simplement choisi
parce qu'il avait commencé de l'écrire au début de l'année
1912 et qu'il prévoyait de le terminer aux alentours de l'équinoxe
de printemps, ou un peu au- delà. Cependant il ne faut pas oublier que
la période des équinoxes est consacrée au souvenir et au
culte des morts. Quoi qu'il en soit, l'évocation du décès
de cette petite fille, née la veille de la fête des poupées
et vêtue comme une poupée dans son cercueil, est très émouvante.
Mais tout ceci ne touche jamais Keitaro, qui ne pénètre jamais
vraiment à l'intérieur des aventures contées par ses diverses
rencontres. En cela, il est sans aucun doute un double du lecteur, qui reste
finalement un peu en retrait, qui ne s'investit pas le moins du monde dans l'univers
qu'on lui propose. Au point de partager l'interrogation finale du protagoniste
: "Et levant les yeux vers le vaste ciel, il se demanda, alors que le drame
semblait s'achever si abruptement, comment ce théâtre poursuivrait
ses éternelles vicissitudes."
Ségolène, février 2002 2001
Soseki, A l'équinoxe et au-delà. Ed. Le serpent à plumes. 1998.