Yasushi Inoué : Une voix dans la nuit (1967)

Inoué est sans doute l'un des écrivains le plus connu de la littérature japonaise. Il alterne romans et nouvelles, tels que Le fusil de chasse, Confucius, Le maître de thé. La plupart de ses écrits traitent, de façon plus ou moins approfondie, de la difficulté pour le Japon de s'ouvrir à la "modernité" occidentale tout en conservant la richesse de sa propre culture.Chinuma Kyoshiro n'est pas le héros de ce roman. Du moins, c'est ce que nous pensons au début du voyage. Homme d'une soixantaine d'années, lettré trouvant refuge dans sa bibliothèque pour oublier les horreurs du présent, il nous semble un peu trop léger pour être porteur de l'histoire à venir. Et pourtant tout se complexifie après un banal accident de voiture: Kyoshiro devient fou et par là, acquiert une sorte d'épaisseur, une densité toute romanesque. Se sentant poursuivi par les démons de la modernité qui tentent d'envahir la société nipponne encore pétrie de traditions, notre nouveau Don Quichotte décide de se battre contre du vent, de ruer dans les brancards des politiques endormis qui sont loin de prendre conscience du danger que le monde encourt. Il emmène dans sa course sa petite-fille d'à peine deux ans, symbole de pureté et d'innocence, une jeune fugueuse en quête d'absolu et un chauffeur de taxi, gage de sécurité pour ce quatuor improbable. Dès lors, l'itinéraire du roman devient celui d'une fuite mais une fuite toute tracée, un trajet fléché. Les lieux parcourus ont tous été chantés par le Manyo-shu, recueil de poésies datant du 7ème siècle. Il s'agit donc d'une sorte de pélerinage à travers la tradition, de remise en question sur un territoire connu. Le texte est égrené de citations de ce livre d'anthologie: les endroits évoqués sont alors comme autant de miroirs poétiques d'une réalité désenchantée. Si Kyoshiro devient au fur et à mesure un personnage inoubliable, c'est parce qu'il désire en réalité se fondre dans le déjà vécu, le déjà vu. La mort n'est en fin de compte pas effrayante: chantée depuis la nuit des temps, elle apporte consolation et gloire aux poètes. La libération du Japon ne pourra se faire que par la renonciation:les démons ne craignent-ils pas ce qui émane des livres, cette voix cristalline qui chante dans la nuit l'éternelle résurrection de l'homme?

Ségolène, novembre 2001

Yasushi Inoué , Une voix dans la nuit. Le serpent à plumes. 2001.