Ryû Murakami : Lignes (2000)

Autant Bleu presque transparent et La guerre commence au-delà de la mer m’avaient fait voir en Murakami un observateur avisé, voire visionnaire, d’un Japon que l’on ne commence qu'à peine entrevoir, autant ses derniers romans m’ont laissé un sentiment de vide, de répétition, caractéristique d’un écrivain trop en avance. Miso Soup, que l’on qualifiera de roman alimentaire, entamait déjà un déclin qui vient se confirmer avec Lignes. On préfère, de loin, Murakami lorsqu’il reste alerte et explore son sujet fétiche (la déliquescence de la communication dans le Japon moderne, pour faire synthétique) par des moyens détournés tel que le cinéma avec Topazu (Tokyo Décadence), que lorsqu’il semble s’installer dans le confort de celui qui a tout dit.

Lignes est un roman qui possède la particularité de n’avoir aucun personnage principal ou récurent, du moins pas de la façon dont on l’entend traditionnellement. Chaque chapitre, intitulé selon un prénom, s’attache à un personnage qui finit par en rencontrer un autre (voire ne fait que le croiser, l’apercevoir), ce dernier devenant l’objet du chapitre suivant, et ainsi de suite.
Evidemment, Murakami est loin d’être un novice et c’est d’ailleurs pourquoi ce " truc " , un peu lassant, apparaît finalement d’autant plus comme un effet facile et non comme un véritable moyen de réfléchir sur la solitude et son pendant, la communication.

Lignes. Des lignes de vie, des lignes électriques, de téléphone. Des lignes qui, comme les gens, se croisent, s’éloignent, se rejoignent, se coupent, ... Chaque " ligne " de vie, ou personnage, est comme un électron. Il ne fait que passer et rencontre, à l’occasion, d’autres électrons. Seul leitmotiv et ligne directrice du roman, c’est un personnage prénommé Yûko, qui a la capacité de lire, de capter les communications qui passent dans les lignes de communication. Une version moderne de la diseuse de bonne aventure lisant les lignes de la main.
Cette obsession de la communication moderne, incarnée physiquement par les réseaux de lignes de communication, est un des thèmes récurrents du moment au Japon. Que ce soit l’animation avec Lain, le cinéma avec Kaïro, ou la littérature avec Lignes. Ce dernier se montrant le moins convaincant et le moins original.
Murakami, comme conscient du caractère vain de son roman, en tant qu’il n’apporte pas grand chose à la réflexion qu'il déjà pu mener, tente de se justifier dans la postface. Sans vouloir être réducteur, on pourrait dire que cette dernière se suffirait à elle même et également au lecteur.

Nouvelle variation sur le thème de la solitude et de l’absence de communication à l’heure du tout communication/consommation, Lignes reste trop superficiel pour séduire. On attendait de Murakami un roman qui soit plus un essai qu’une vague réflexion de dilettante paresseux.

zeni, mai 2001

Ryû Murakami Lignes. Editions P. Picquier, 2000.