Hikaru Okuizumi : Les pierres (Ishi no raireki) (1994)

Quelque part au Japon. Pendant la seconde guerre mondiale. Les bombes pleuvent. Deux soldats se réfugient dans une caverne et attendent la fin de l'alerte. Un moment qui aurait pu rester anodin mais qui va transformer l'existence jusque là tranquille de Manase. Pourtant, celui-ci n'avait fait qu'écouter poliment le récit de son compagnon sur les pierres qui se trouvaient dans leur abri d'infortune. Sans même s'en apercevoir, notre héros venait d'être initié à la beauté et aux secrets des pierres. Selon le soldat, personnage anonyme qui reviendra hanter les nuits de Manase avec ses théories, toute l'histoire de l'univers est inscrite dans une pierre ; chaque individu pourrait donc du même coup y lire la sienne. Mais quelle est l'histoire de Manase qui se reflète dans les pierres qu'il commence à collectionner dès le retour à la vie civile ? Une femme chaque jour un peu plus délaissée à cause de sa passion pour la minéralogie ? Un fils aîné à qui il transmet son enthousiasme de collectionneur ? Les bombardements ont cessé, mais Manase aime encore à se réfugier dans le grotte, dans son monde de pierre, sa matrice. Mais voilà qu'un jour le Réel revient en force : on retrouve le cadavre du jeune garçon, affreusement lacéré, dans la grotte où il était allé chercher des échantillons de minéraux. Ce meurtre odieux semble ressusciter les cauchemars les plus obsédants de Manase : visions de soldats à l'agonie dans cette même caverne et d'un lieutenant qui ordonnait d'achever les mourants au sabre. Des années plus tard, le fils cadet de Manase accuse son père du crime resté impuni…
Dans un terrifiant vortex d'intuitions, de réminiscences, d'irruptions du passé dans le présent, Hikaru Okuizumi conduit un récit au suspense inexorable, en même temps qu'une méditation sur la mort. Bien que le récit débute à la fin de la seconde guerre mondiale, il n'est à aucun moment question des problèmes rencontrés par les Japonais pendant la guerre et au moment de la reconstruction. Il est évident que l'auteur ne suit pas le chemin de Nosaka car il refuse toute intrusion de la réalité dans l'univers clos, étouffant, fantasmatique de ses personnages. Ce qui importe davantage ici c'est bien plutôt la construction par Manase d'un univers où seules les pierres ont des choses à dire, à apprendre aux hommes. Dès lors, ces derniers n'ont plus qu'à se murer dans un silence lourd d'ignorance et de culpabilité. Qu'ils ne s'inquiètent pas, s'ils se taisent, les pierres crieront…

Remarque : Hikaru Okuizumi est né au Japon en 1956. Le roman Les pierres, qui parut en 1994, lui a valu une immédiate renommée, et le prix Akutagawa.

Ségolène, mai 2001

Hikaru Okuizumi Les Pierres . Collection Actes Sud, 1996.