Lao She : Quatre générations sous un même toit (1949)

Dans la nuit du 7 juillet 1937, sous un prétexte futile (un soldat manquant à l'appel), l'armée impériale japonaise qui occupait les territoires du nord-est de la Chine franchit le pont Marco Polo, au sud de Pékin et se met en marche vers la ville, accomplissant ainsi le premier acte de la longue guerre sino-japonaise, qui va bientôt entraîner le monde entier. Les personnages de ce roman se trouvent donc plongés, avec l'occupation japonaise de la vieille capitale Peiping, dans une période d'humiliation et de déclin qui ne prendra fin, si l'on peut dire, qu'en 1949, avec l'arrivée des nouveaux occupants...La trilogie se déroule dans un monde clos, la ruelle du Petit Bercail, un hutong caractéristique du vieux Pékin, constitué de ruelles et de cours, aux habitations sombres et insalubres. L'horreur de la guerre nous est ainsi présentée à travers les héros modestes de la ruelle qui, perdant peu à peu leurs masques, révèlent leur moi profond. Mais comme le titre l'indique, Quatre générations sous un même toit est d'abord et avant tout une histoire de famille. Le premier tome s'ouvre sur l'anniversaire du vieux Qi, le patriarche. il est fier que sa longévité lui permette de connaître jusqu'à ses arrière-petits-enfants. Le bonheur est de courte durée car non seulement la célébration de son anniversaire va être compromise par le début de la guerre avec les japonais, mais la famille va rapidement se déchirer entre résistance et collaboration avec l'ennemi.Et c'est sans doute là que réside l'originalité du roman: montrer les conséquences de la guerre au sein d'une même famille. L'édifice bâti par le vieux Qi tremble sur ses bases: la famille va connaître des pertes déchirantes, confrontée tour à tour au rationnement et à la famine, au point de ne plus former tout à fait quatre générations sous un même toit. Par ses nombreux personnages, le romant trouve son unité dans la succession des différentes générations et dans la dimension historique qui vient menacer leur stabilité. Mais les conflits qui sont au coeur de l'oeuvre n'opposent pas seulement entre eux les divers membres de la famille, ils opposent aussi les habitants de la ruelle, le groupe familial à la patrie et Pékin au reste de la Chine. Ainsi Pékin devient-il le principal sujet du roman. Certes l'auteur se laisse parfois aller dans un nationalisme facile: face au peuple chinois si contradictoire, si désorganisé et si inoffensif, il nous présente toujours les soldats japonais comme le mal absolu. Mais ce roman-fleuve fait preuve d'un réalisme tout à fait original pour l'époque, mêlant le foisonnement romanesque traditionnel chionis à la psychologie du roman européen du 19ème. Lao She nous dévoile surtout dans cette fresque incroyablement vivante son attachement passionné, charnel pour une Peiping immense, plurielle, archaïque, invincible malgré les invasions. Il jette un regard plein d'amour et de nostalgie sur une famille déchirée mais solidaire, sur un peuple déraciné mais plein d'espoir, sur l'être humain dans ce qu'il a de plus généreux et d'inquiétant.

Ségolène, juin 2001

Lao She, Quatre générations sous un même toit. Ed.Folio.1998.