EXIAS-J (Kondo Hideaki, Nishizawa Naoto) Venom

C'est toujours avec un plaisir non dissimulé qu'on accueille un disque de musique improvisée qui commence par un long larsen...Pourtant, la guitare demi-caisse de Kondo Hideaki ne trompe pas, ce monsieur vient du jazz. Son touché, sa technique le confirme. Mais rassurez-vous, ici il n'est pas question de démonstration...C'est le son qui est au premier plan...Il s'insinue d'adord comme s'il s'agissait d'un instrument à vent, suraigu. Puis plus aigu encore. Une couche distorsion dégringole alors sur le tranchant du feedback tandis que la batteur, Nishizawa Naoto, s'avance prudemment, taquinant les cymbales. Plusieurs vagues s'enchaînent ainsi, le larsen toujours tenu s'installant tour à tour dans différents pitchs, du grave à l'aigu. La grosse caisse s'invite à son tour dans ce qui va virer au duel entre une batterie tonitruant et une guitare incisive.

Cette description pourrait être celle d'un morceau de Fushitsusha. Pourtant, Bishop est interprété par un musicien qui rôde d'habitude aux abords du jazz, du tango ou de la musique contemporaine. Autant dire qu'il sait pertinement ce qu'il fait, qu'il maîtrise son propos. En effet, l'esthétique de Kondo Hideaki est mûrement réfléchie!

Ce guitariste polymorphe est à l'origine du collectif EXIAS-J, sigle qui signifie : Experimental Improviser's Association's of Japan. Le but est clair : commercialement, il s'agit de promouvoir la musique improvisée grâce à un label : Bishop Recordings ; artistiquement, il s'agit d'explorer sans compromis les ressources de l'impro, tout en poussant la musique vers ses limites, vers ce que, paradoxalement, elle a de moins musical. L'exercice est périlleux, il s'agit d'avancer sur une corde raide. Ici, en effet, pas question de démonter la musique par l'absurde ou de recourir à la facilité...Or, par son sérieux, Venom, est en fin de compte très musical, même s'il est ponctué d'éclat de bruit et de silence (Constancy Phenomena). La non-musique est ici quelque chose vers quoi il faut tendre sans esperer (vouloir?) l'atteindre.

Les différents éléments ont beau n'être pas organisés, ils forment avec le recul des arrangements complexes. Les stalactites ne sont pas des oeuvres d'art, et pourtant ils peuvent être beau, avoir des formes précises et élaborées...Ici, malgré la volonté de jouer spontanément, de vouloir sortir de la musique, les differents éléments éparpillés au vent forment un précipité solide.

Ornette Coleman refusait cette vision d'un free jazz où les artistes communiquent et participent à des échanges collectifs pour celle d'une musique où chacun jouait isolément bien qu'en même temps. Pourtant, la chose ne fonctionne que quand les différents éléments se contaminent, presque insidieusement...Quand quelque chose se forme, que l'auditeur peut donner mentalement un ton général, un couleur à un morceau...

Nulle doute que cette alchimie fonctionne ici. Et la fin du première morceau, entre calme et folie, silence et éclat abstrait est sur ce point une réussite. Pourtant, il manque encore quelque chose pour quoi le travail soit vraiment abouti. Pour aussi passionnante qu'elle soit, la musique de de Kondo Hideaki et Nishizawa Naoto semble prisonnière de ses théories et de ses influences. Celles revendiquées de Keith Tippett, Barre Philips, Tony Williams ou du rock allemand des années soixante dix pour le long premier morceau qui confine parfois à la trance. D'autres bizarrement passées sous silence: le Derek Bailey de ces dernières années, Pat Metheny de Zero Tolerance for Silence ou de Sign of the Four ou encore Masayuki Takayanagi.

Trop de références est souvent nuisible. Toutefois, il est inhérent au projet d'EXIAS-J à savoir, jouer cette musique inspirée de l'occident, en épousant un point de vue, une approche orientale. A ce niveau, je veux bien admettre que quelque chose m'échappe. Mis à part quelques tintements ça et là, des silences ponctués de brefs éclats, ma culture limitée m'empêche de voir ce qu'il a d'oriental dans cette musique. De plus, comme Takemitsu s'est inspiré de Boulez et John Cage de la musique Nô, comme les estampes ont inspiré les impressionistes et les surréalistes français les peintres japonais, il n'est pas toujours évident de séparer est et ouest. Eddie Prevost a de son côté réussi à sentir cette subtilité dans la musique d'EXIAS-J. Et il est amusant de voir comme on retrouve cette citation du batteur d'AMM à plusieurs endroits dans le disque et le site, comme un élève montrerait son bon point à tout le monde : "Votre philosophie est tout à fait juste. J'admire votre volonté de transcender à la fois la vielle tradition japonaise et la nouvelle doxa de la musique américano-européenne". Quand le maître montre la lune...Non, sans rire, je crois que vous pouvez accorder crédit à sa parole...

EXIAS-J (Kondo Hideaki, Nishizawa Naoto) Venom. Bishop Records, 2000. http://home.att.ne.jp/sky/exias/index.html

Florent, juin 2001