Kiyoshi Mizutani Bird Songs

On résume souvent Merzbow à Masami Akita, pourtant plusieurs personalités ont gravité autour de ce projet, notamment Kiyoshi Mizutani. Pourtant, comme l'indique la pochette, ici, pas la moindre trace de harshtronics ou d'autres petites vrilles perturbant le conduit auditif. Ground Fault en effet organise son catalogue en trois grandes familles : la première à laquelle appartient le présent disque étant dédiée à la musique électroacoustique, à la musique concrète, minimaliste etc...La troisième déclinant plutôt noise, power electronic etc...En effet, depuis qu'il a quitté le noise project le plus fameux de tous les temps, Kiyoshi Mizutani. se consacre de manière systèmatique aux field recordings. Cette pratique en général assez conceptuelle consiste à enregistrer directement des sons provenant de l'extérieur pour créer ensuite un paysage sonore. La part d'intervention humaine allant du simple fait d'enregistrer, comme un preneur de sons au cinéma, jusqu'à recréer totalement autre chose avec le matériel recolté.
On peut facilement imaginer des illuminés comme Bernie Krause ou Chris Watson se promenant avec une perche et un DAT à l'affût du moindre sons, un peu comme le personnage de Phillip Winter dans Lisbon's Story de Wim Wenders, en train de prendre le son d'un film sans image. La démarche du field recording n'est pas sans évoquer le cinéma, en effet, même si on ne peut généraliser. Dans Bird Songs, ça et là naissent des esquisses de scénarii et ce d'autant plus que chaque morceau est accompagné d'une petite phrase de commentaire : Nimbo, ville ou les japonais se sont rendus dans des temps. reculés pour tirer des enseignements de la culture chinoise, plus avancée a remplacé Lisbone. Ce morceau, placé en fin de disque est un peu un retour à la civilisation, après immersion totale dans une nature où l'homme ne laisse que des traces lointaines. Ainsi, dans Tokyo Bay Bird Sanctuary entend on la confrontation entre les oiseaux et les avions de l'aéroport, tout proche, d'Haneda.Certains morceaux en effet sont des enregistrements bruts à peine retravaillés. Il n'y a en fait que le morceau d'intoduction où un sample d'oiseau sert de base à une pièce électroaccoustique qui se démarque.
Cinéma de temps plus que de mouvements, les paysages de Mizutani sont contemplatifs : les oiseaux de Horoka no mizuba se baignent dans la source du lac Yamanaka. A la longue, cet album peut faire penser à un disque de Nature et découverte, ce qui avouons le est un peu gênant. Pourtant, ici, ce n'est pas forcément la nature elle-même qui est au premier plan, que le point de vue et l'expérience de Mizutani : l'oiseau de Toratsugumi, qui chante sous la pluie, a été enregistré à 2:00 du matin par exemple...Peut-être est-ce pour cela qu'il laisse parfois la trace son dispositif. Souffles et chocs dans le micro ne sont pas coupés : Mizutani est là avec son matériel. Mais c'est aussi parce que l'instant compte : c'est le témoignange d'un instant précis qui prévaut sur le son lui même. Peut-être Mizutani pratique-t-il le field recording comme une forme d'anti musique, anti art puisque naturel (c'est par là qu'on pourrait jeter des ponts vers Merzbow), mais c'est surtout la part de témoignage qui est intéressante.
Peut-être est-ce pour cela qu'il égréne quelques notes dans la forêt de Aokigahara, pour laisser la trace éphémère de sa présence dans cette "mer d'arbres, où beaucoup de gens se sont perdus" (traduction du livret). Bird Song est donc un disque poétique, et même si c'est un peu cliché, on peut voir chaque piste comme autant d'haïku. Pourtant, ce disque peut être décevant si on ne l'aborde que d'un point de vue sonore : c'est un disque d'images qu'il faut lire avec les quelques phrases du livret, mais qui par lui même en tant que "musique" peut paraître inabouti.

Kiyoshi Mizutani Bird Songs. Ground Fault 2000 http://www.groundfault.net.

Florent, juillet 2001