Mystic Fugu Orchestra Zohar

On ne sait pas d'où vient le récent intérêt de John Zorn pour la culture juive. Ce n'est pas une tendance qu'il manifestait spontanément dans ses premiers enregistrement. C'est cependant avec la série des Masada, jazz teinté de musique klezmer et de free, que sa renommé va squatter les charts des pourtant très installés magazines de jazz (Jazzman et autres). Histoire de ne pas faire bêtement du free -un petit blanc de Downtown qui aurait singer la musique de la contestation noire des sixties, John Zorn va s'inspirer de ses racines juives (bien que jusqu'à nouvel ordre il soit athée). Cette référence va aller grandissante dans son approche musicale ; et pour ceux qui ne le saurait pas "Tzadik", le nom de son label veut dire saint homme en hébreu. C'est pourtant bien le même John Zorn qui voue une passion pour le hardcore et pour la scène japonaise la plus radicale. Ses compositions klezmer sont seulement l'une de ses faces les plus apaisées.
Toutefois tous les disques la section "Radical Jewish Culture" de Tzadik, ne feront peut être pas danser avec le même entrain tous les invités de votre bar mitzva. Kletka Red du punk yiddish avec Tony Buck (Peril) et Andy Ex (The Ex), Kramer, le patron de Shimmy Disc, le duo Ambarchi/Avenaim du groupe australien bruitiste Phlegm ou encore le Shrek de Marc Ribot, même s'ils côtoient le jazz et la musique traditionnelle, n'hésitent pas à honorer le nom de ladite section (Radical).
Que du beau monde certes, mais quel rapport avec la musique japonaise, me direz-vous? Encore maintenant, il ne m'apparaît pas comme évident. Tel n'était pas l'avis de Rav Yechida et Rav Tzizit, alias Yamantaka Eye et John Zorn, qui se retrouvèrent en studio sous le nom cocasse de Mystic Fugu Orchestra. En 1995, l'année de lancement du label, sortait donc le premier (et sûrement le dernier) opus du Poisson Lune Mystique : Zohar.
L'imagerie juive est donc jouée à fond : référence aux prophètes et correspondance kabbalistique avec les chiffres, les astres etc…Un texte de Gershom Sholem (penseur philosophe juif et kabbaliste lui-même) accompagne l'écoute de l'album…Voilà Eye et Zorn réincarnés à l'époque où la voix des kantors portaient fantomatiquement par 78 tours interposés dans les rues des grandes villes d'Europe de l'est.
Collectionneur averti, John Zorn possède sans doute quelques exemplaires de ces "historical recordings of ancient Judaica" dixit la pochette. Mais si les collectionneurs de jazz accordent une chaleur particulières aux craquements des pressages des années 50, des parasites acoustiques vieux de 80 ans ne pouvaient intéresser que les oreilles perverses de Eye et de son comparse.
Un peu comme les voix conservées dans la glace de chez Rabelais, le chant de Eye et l'harmonium de Zorn semblent venir d'un autre monde, à peine audibles aux milieux des craquements reconstitués. Plaintif et habité, le chanteur des Boredoms, loin de ses territoires habituels, hantent les surfaces rayées de ces vieux disques…
A vrai dire, le lien avec le reste de la production de Eye n'est pas évident. Tout juste y reconnaît-on la pâte du Eye qui, sous des pseudos toujours différents, accouche de disques solos monstrueux et toujours plus inécoutables et qui à chaque fois redéfinit les normes de la santé mentale musicale.
Toutefois, on est loin du délire boulimique de Nani nani où tous les styles musicaux connus sont passés à la moulinette -échange de bons procédés, la même année, Dekoboko Hajime (John Zorn) rencontrera Eye dans sa propre contrée (section New Japan, toujours chez Tzadik). Ici, Rav Nova, 2000 Years ou Ayin oscillent allègrement entre le non style et la non-musique.
Si une ambiance particulière imprègne cette enregistrement unique, l'écoute complète des huit morceaux est loin d'être une sinécure…Certes, la noise japonaise est loin d'être une musique roborative, mais elle peut être émaillée, parfois, de moments de grâce. Ici, les seuls images que fait naître une écoute prolongée de Zohar sont des points d'interrogations qui se répètent à l'infini. Après m'être repenché attentivement sur ce disque à l'occasion de cet article une question s'impose toujours à moi : qu'est-ce que c'est que cet O.S.N.I. ?

Ayin (124 Ko)

2000 years (121 Ko)

Rav Nova (118 Ko)

Yamantaka Eye / Rav Yechida : voix. John Zorn / Rav Tzizit : harmonium. Mystic Fugu Orchestra - Zohar, Tzadik (TZ 7106), 1995.

Florent, Février 2001