Ground Zero "plays standards"

Il peut sembler bizarre d'aborder Ground Zero par un de leurs derniers disques. Pourtant, "Plays Standards" constitue peut-être la meilleure introduction. Ce n'est pas la relative accessibilité de la musique qui est à l'origine de ce jugement. Au contraire, elle serait même trompeuse. Ce qui fait tout le prix de cet album, c'est son concept même qui éclaire la démarche du groupe et d'Otomo Yoshihide plus particulièrement. "Plus particulièrement", car même si Ground Zero est constitué de personnalités marquantes comme Sachiko M (sampler), Uchihashi Kazuhisa (Guitars), Uemura Yasuhiro (kit drums, percussion), il n'y a pas de doute à avoir, Plays Standards est le disque d'Otomo.

A la manière d'une autobiographie musicale, d'un roman d'apprentissage chaque plage (chapitre) reprend un "classique" qui a influencé son éducation musicale. Bon, on ne va pas vous mentir, à de rares exceptions près, ses classiques ne sont pas les nôtres : Miagetegoran, Yoru no Hoshi wo est un air assez peu goûté dans les provinces françaises. On peut donc remercier le traducteur du livret qui nous permet d'y voir plus clair ; chaque titre est en effet assez bien commenté. On peut alors dégager deux types d'influences : tout d'abord, Otomo ne cache pas qu'il a été influencé par la musique populaire, ni son goût pour une certaine sous-culture. On trouve aussi bien de la musique brésilienne (Fohlas Secas), la variété américaine bonne ou moins bonne (I say a little prayer de Burt Bacharach ou Those were the days), de la musique de dessin animé (Ultra Q), de la musique de film (A Better Tomorrow). La seule petite exception est la reprise d'un morceau d'Hans Eisler, qui dans les années trente revendiquait une musique classique plus populaire en même temps qu'il composait, comme Kurt Weil, des musiques de chansons réalistes. Même s'ils sont triturés, ces airs restent suffisamment reconnaissables pour que la plupart du temps, on se rende compte qu'il s'agit d'hommages. C'est sûrement ce qui donne à Plays Standards cette teinte si réjouissante et enthousiasmante. Bien sûr, on y trouve des références plus attendues, plus proche de l'univers musical de Ground Zero : Massacre, Misha Mengelberg, Steve Beresford, Abe Kaoru, Skeleton Crew etc…C'est à dire autant de transfuges du jazz et de la musique nouvelle.

Si Otomo s'était contenté de simple reprises, aussi personnelles qu'elles aient été, l'album aurait été plaisant mais n'aurait peut-être pas évité l'écueil des entreprises de ce type : que peut-on apporter à l'original ? Nourrie à la télé, aux mangas, à la junk culture en général, la génération d'Otomo a été l'une des premières à entrer dans l'ère moderne de la surcommunication et de l'échange accéléré - a fortiori au Japon. Tout son travail de citations, de samples semble rendre compte de cette surabondance et des collisions qu'elle provoque. Dans "Plays standards", le concept va légèrement plus loin, privilégiant la citation au second degré. En clair, dans l'ère des médias, les informations nous parviennent toujours par des intermédiaires ; au lieu de se contenter de reprises, Otomo va jusqu'à faire des reprises de reprises ! Ainsi Those were the days (de Gene Raskin) est autant une allusion aux programmes variétés japonais et aux nombreux interprètes locaux qui l'ont chanté, qu'à la version jazz du pianiste Sergey Kuryokhin. Le fameux Washington Post March, associé généralement aux événements sportifs, trouvera écho chez Otomo au travers de la reprise de Skeleton Crew (type même d'humour musical qu'il utilisera lui-même par la suite). Ce thème rentrant en collision avec la chanson Japan Dissolution du groupe Omoide Hatoba, qui va le recouvrir littéralement : autrement dit un hymne contre un anti-hymne.

Enfin, cerise sur le gâteau la rencontre surprenante entre la musique de A better tomorrow et d'une chanson de Burt Bacharach, I say a little prayer. Souvent attiré par la Chine, qui après tout a été le berceau du Japon, Otomo privilégie ici une vision tronquée de ce pays et imagine un Hong Kong vu au travers de Chow Yun-fat, Mr Vampire et Samo Hung (dixit Otomo lui-même). Le thème enlevé de Bacharach est en fait reconstruit au travers de la version de Roland Kirk (grand nom du free jazz 60's dont la spécialité été de jouer de plusieurs saxophones à la fois) et s'oppose assez nettement à la version très ralentie de celui de Joseph Koo. Quant à savoir pourquoi, John Woo rencontre Burt Bacharach…hmm, en fait en y réfléchissant bien, ce n'est pas si stupide que ça.

Ultra Q (316 Ko)

Those Were the Days (312 Ko)

Washington Post March + Japan Dissolution (320 Ko)

Miagetegoran, Yoru no Hashi wo (472 Ko)

A Better Tomorrow + I Say A Little Prayer (470 Ko)

GROUND-ZERO "Plays Standards", Nani records, Ncd-201, 1997 (Japon) / DIW, DIW-420, 2000 (Japon)

Florent, Décembre 2000