Solmania Trembling Tongues

Wish you were here. Tous les amateurs de guimauves planantes ont encore cette frêle architecture au coin de l'oreille. Frêle non pas de retenue ou de sensibilité, mais frêle parce qu'à force de flatter les enceintes Hi-Tech des vendeurs de Hi-Fi, les Pink Floyd se sont bel et bien explosés leur pif de cochon gonflable.
Le rapport avec Solmania ? Double ! De un : la musique seventies prog. et affiliée trône encore (on ne saura jamais pourquoi), en monarque bouffi qu'elle est, au sommet des références nippones. De deux : le premier titre de Trembling Tongues porte le titre du disque où les Pink Floyd se sont transformé en une véritable industrie à planer. Hasard me direz vous ? Pas sûr. La question serait plutôt : hommage ou ironie ? Difficile de savoir. Vous savez, à l'autre bout de la terre, on a beau avoir des guitares et des ordinateurs comme tout le monde, quand on a la tête en bas, on ne perçoit pas les choses comme tout le monde. Combien de japonais, en se réclamant progressif, oublient d'être lourd et ridiculement pédant jusqu'à en devenir délicieusement punk ? Car Trembling Tongues est un disque de punk bétonné. Du punk sans uniforme ni crête, mais un véritable brûlot qui emmène le rock la où il tremblait de pénétrer. Pas de lignes de basse tressautantes ni de batterie autiste qui ponctueraient une chanson balisée. Solmania c'est de l'impro, mais qui garderait du punk son côté mal éduqué. Masahiko Ohno, c'est l'expressionnisme abstrait de la guitare et pourtant, il est loin de la scène improvisée anglo-européenne, trop intello, pas plus qu'il ne se rapproche du Downtown new-yorkais trop branchouille. Epaulé par Katsumi Susahara, guitariste hardcore, c'est du son brut de décoffrage qui sort de chez Alchemy, le label de Jojo Hiroshige, où les galettes fleurent bon le gras et la sauce. Gras comme cette fausse langue de Rolling Sones qui décore le coin inférieur de la pochette. Blason d'un certain Rock'n'Roll, cette icône ambiguë a désigné selon les périodes un style poisseux, un accent gouailleur et un vieux jean moule-boules comme il a pu, par la suite être symbole de tiroir caisse. Gageons que l'hommage est sincère et qu'il salue la bonne période du cockney lippu, oubliant pudiquement la seconde période. Et tant pis si Sister Morphine s'est changée en Sister Distorsion,ce que l'imagerie Sex, Drugs'n'Rock'n'Roll a perdu, la musique de Solmania a su le récupérer.
A l'intérieur de la pochette -très soignée par Masahiko Ohno qui designe la plupart des pochettes Alchemy, sont remerciés Noseyama Youki (de Diesel Guitar) ou Jojo. L'internationale de la guitare noise se constitue peu à peu. Certes par rapport aux bidouilleurs électroniques, le lien symbolique avec la société moderne est moins fort : pas de récupération ou de détournement de sons, pas de tortures de circuits imprimés…Mais ici, le son est cathartique et ouvre la porte à tous les (sains) débordements : le cri vient même épauler les deux guitares là où elles risqueraient de s'essouffler (Pushpin Gum). Le poids du monde moderne n'est plus traduit mais il est littéralement ex-primé. Cette noise qui vient taquiner le rock sur son terrain, libère la puissance de dix bon amplis Marshall, les empêchant par là de tomber aux mains de vieux babas égarés ou de punks apprivoisés.

Sister Distortion (159 Ko)

Pushpin Gum (171 Ko)

Solmania : Trembling Tongues. Alchemy Records (ACD-077), 1995 (http://www.alchemy.cc).

Florent, février 2001