Y par Jean-François Pauvros & Haino Keiji
Jean-François Pauvros est maintenant
un habitué de la ligne France-Japon : échanges assez peu
scolaires avec Sesuko Chiba (Mango Man Go, Spalax), correspondance
poétique ou "acid" télégrammes de Makoto Kawabata
(Extrême Onction, Fractal) expédié du fin
fond de son "melting paradise".
Sa prestation la plus marquante reste toutefois celle de léphémère
trio formé avec le prince noir Haino Keiji en personne !
On voit nettement où cette idée a pu germer quand on songe au
radicalisme guitaristique dun No Mans Land (avec Gaby
Bizien, Spalax) ou de la (dé)formation en quintet de Catalogue
(toujours chez Spalax). Ignorant plus ou moins, alors, le travail du japonais,
Pauvros, accompagné du batteur Jean-François Causse, aborde
le premier concert lillois, avec sérénité.
Mais très vite Haino Keiji, rompu à
limprovisation la plus exigeante avec Peter Brötzmann, Barre Phillips,
Derek Bailey, Shoji Hano ou Loren Mazzacane-Connors va élever
le débat. Promenant habilement ses doigts sur les cordes dun open-tuning
savant, Haino transforme bientôt la petite cave humide en une assourdissante
caisse de résonance. Linstant est fort (décibellement parlant
aussi !). Les fantassins français, étonnés de devoir
dès labord se réfugier dans leurs derniers retranchements,
ont mal à soutenir la cadence.
Au style maîtrisé et mâture du japonais, Pauvros se voit
contraint de répondre par des artifices : passages constants de
la guitare à la basse, jouant de larchet, insertions de bouts de
métal sous les cordes
Autant dersatz qui différent
la confrontation frontale.
Les français à force de jauger la bête vont devoir essuyer de sérieux passages à vide. Haino Keiji, totalement absorbé, en symbiose avec sa musique, a la présence de quelquun qui voue une humble mais entière confiance en son art. Une personnalité taillée dans le roc. Malgré des problèmes techniques et un nombre étique de spectateurs qui en auraient découragé plus dun, Haino, dans une transe musicale, donne sans cesse le meilleur de lui même. Les Jean-François, sur le carreau, le regardent pantois. Parcouru de convulsions, il supplée aux défaillance du bête matériel par un voix venue du plus profond de lui même, effluves magiques sorties dun manga.
Pourtant, évitons toute mesquinerie. Certes
les deux acolytes ne sont pas à la hauteur du maître, mais la rencontre
a ses moments de grâce. Depuis le début des années 90, Haino
a multiplié les rencontres musicales avec toutes sortes de musiciens,
ne rechignant pas, sil juge la collaboration potentiellement fructueuse,
à croiser le fer avec des groupes peu confirmés (Boris,
COA
). Haino veille ainsi à ne pas épuiser la veine
guitare / voix qui le caractérise si fortement. Loccasion ici de
se mettre en danger, puisque ni lui ni Pauvros ne semblaient se connaître
et encore moins avoir joué ensemble avant la première date lilloise !
La réunion de deux styles assez différents, de deux personnalités
crée un style forcément unique, un produit arithmétique
dinfluences et de compétences. Et ce nest pas par hasard
si la pochette porte la mention : Musique composée par K. Haino
et J.-F. Pauvros. Peu à peu, chaque morceau sallonge et se
love, jouant de belles oppressions et de lancinantes ruptures. Chacune aboutissent
à un climax sans cesse renouvelé. Et on sent le concert parisien
fort des enseignements du précédent.
Regrettons toutefois que même sur le disque témoin de cette collaboration, qui présente les prestations les plus convaincantes des deux shows, le batteur J.-F. Causse reste un ton en dessous des deux autres.
Keiji Haino ~ Jean-François Pauvros Y. Enregistré en Mai 1999 au Rockline Café Lille et au Batofar Paris. Shambala Records (2000) SHAMB 99003.
Florent, Avril 2001