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Eating Air

EATING AIR

Kelvin Tong & Jasmine Ng, 1999

avec Benjamin Heng, Alvina Toh

Retrouvez ici l'entretien avec Kelvin Tong réalisé au 3ème festival du film asiatique de Deauville le 4 mars 2001.

On ne peut pas dire que l'on soit noyé sous les films en provenance de Singapour. Cette ville état de 3,5 millions d'habitants ne possède, pour ainsi dire, aucune industrie cinématographique depuis presque 50 ans ! On assiste cependant, depuis 1998 et le succès d'un film local, à une reprise de la production avec un rythme qui peut sembler pathétique, de un film par an. Eating Air est donc le film de l'année 1999 pour Singapour.

Eté chaud à Singapour. La fille partage son temps entre deux petits boulots d'été : le jour dans un magasin de photocopie et le soir avec sa mère à vendre des journaux volés au magasin. Le garçon a été en vacances toute sa vie. En tant que truand notoire, il passe son temps avec ses amis et sur sa moto. Ils se rencontrent alors qu'il la voit attendre un soir sous un lampadaire. Pour lui, dérober dans un magasin est aussi excitant que de faire de la moto avec une fille. Pour elle, rouler sur l'autoroute est aussi effrayant que les mystérieux messages qu'il reçoit de ses amis. En d'autres mots, ils nagent en pleine romance....

Eating Air marie avec bonheur la critique sociale sur fond de comédie romantique et de comédie tout court. Heureusement, l'aspect comédie romantique reste limité à l'histoire d'amour qui va lier Ah Boy (Benjamin Heng) et Ah Gu (Alvina Toh). Mettant un certain temps à s'amorcer, elle ne représente pas le thème central du film, qui tourne autour du personnage de Ah Boy.
Ce dernier est en pleine rupture avec ses parents. Il ne rentre que pour dormir et prendre son petit déjeuner avant de partir au plus vite enfourcher sa moto. De tout le film, jamais Ah Boy et ses parents ne se parlent. A plusieurs reprises, on voit même Ah Boy partir dans des délires et imaginer ses parents morts. Pourtant, il ne s'agit pas de l'expression d'une pulsion de meurtre puisque suite à une de ces scènes, Ah Boy promet de venger ses parents. En fait, pour vaincre l'ennui, Ah Boy laisse souvent son imagination dériver et il se fait alors littéralement "des films". Puisant son inspiration dans toutes les cultures qui imprègnent Singapour, Ah Boy s'imagine aussi bien au combat contre des ninjas, en plein wuxiapian délirant ou dans un opéra chinois. Si Ah Boy s'ennuie et n'a pas d'activité professionnelle, il trouve cependant moyen de tuer le temps avec ses amis, les bagarres et autres embrouilles et semble, malgré tout, apprécier sa vie oisive.
Pour Ah Gu, c'est tout le contraire. Bien qu 'elle travaille, sa vie est d'une incroyable monotonie. Monotonie renforcée par sa collègue de travail qui se complait dans son oisiveté et par sa propre mère qui n'a de temps que pour ses incessants rendez-vous galants, délaissant sa fille. Ah Gu a de plus en plus de mal à supporter sa vie et se referme sur elle même, ne voyant pas de changements venir.

Si le film aborde divers thèmes sociaux, conflit des générations et ennui de la jeunesse, il n'en reste pas moins, et avant tout, une comédie (plus exactement une "motorcycle-kungfu-comedy" !). C'est principalement un personnage caricatural mais qui apporte au film son esprit rock'n'roll, qui offre les meilleurs passages de comédie. Sorte de fan de rock tendance hard rock, il est d'un optimisme sans faille et est un expert en bobards. A trois reprises, il raconte trois de ses aventures en les enjolivant au point de tomber dans le délire le plus total. La première finit dans la scatologie la plus excessive qui soit, la seconde dans le n'importe quoi hilarant et la dernière, plus intéressante, montre la réalité là où les deux séquences précédentes ne faisaient qu'illustrer les dires du personnage haut en couleurs. Cette dernière histoire fait apparaître le décalage entre ce que raconte le personnage et ce qu'il s'est réellement produit. De ce décalage né un effet comique irrésistible bien que renforçant le côté pathétique du personnage.

Notons également une bande son (réalisée par des groupes locaux) en totale adéquation avec l'image et on serait tenter de dire que ce film ne présente guère de défauts. Peut-être est-il parfois un peu cynique à l'image de la fin (mais comment pouvait-il en être autrement ?).
D'une inventivité furieuse et multiple, Eating Air ne cesse de surprendre. Kelvin Tong, pour un premier film, fait preuve d'une grande maîtrise et le film est rempli de détails qui prouvent l'importance du travail d'écriture. Jamais complaisant, le film dépeint avec une grande subtilité d'approche, la société de Singapour sans pour autant se prendre trop au sérieux. Un film dont le charme fair immanquablement penser à Augustin, Roi du Kung-Fu, c'est-à-dire un film sans prétention mais diablement séduisant.

© Mars 2001